Une découverte archéologique majeure vient de réécrire l’histoire sous les dalles de la chapelle Saint-George au château de Windsor. Des travaux de routine ont accidentellement mené à la révélation de la dernière demeure, scellée depuis les Tudor, du roi Henri VIII. Les archéologues sur place sont confrontés à une scène à la fois historique et macabre.
Le cercueil en plomb du monarque le plus notoire d’Angleterre a été retrouvé fissuré et endommagé dans une crypte exiguë en brique. Cette sépulture contraste violemment avec les ambitions démesurées qu’entretenait le roi pour son repos éternel. L’homme qui a changé à jamais le visage religieux et politique de l’Angleterre repose dans une obscurité oubliée.
Henri VIII avait en effet consacré des décennies à planifier un mausolée d’une splendeur inégalée. Le projet titanesque devait surpasser celui de son père à l’abbaye de Westminster. Il envisageait des colonnes de marbre blanc, des anges en bronze doré et une statue grandeur nature le représentant aux côtés de Jane Seymour.
L’origine de ce tombeau fantastique remonte au cardinal Thomas Wolsey. En 1524, ce dernier commanda au sculpteur italien Benedetto da Rovezzano un monument somptueux à sa propre gloire. Après la disgrâce de Wolsey, le roi s’en empara et ordonna de le transformer en un chef-d’œuvre encore plus grandiose destiné à sa propre dynastie.
Les plans évoluèrent vers une démesure absolue. Ils incluaient des statues équestres, des scènes de saint Georges terrassant le dragon et plus d’une centaine de prophètes en laiton doré. Des chandeliers de bronze de deux mètres et des rangées d’enfants en effigie devaient compléter cet ensemble destiné à frapper les esprits pour l’éternité.
Pendant des années, Rovezzano et son atelier travaillèrent à la réalisation des éléments. Colonnes, statues et frises en bronze furent stockées à Westminster, attendant l’assemblage final. Mais les guerres incessantes du roi contre la France et l’Écosse épuisèrent le trésor royal. Les fonds vinrent à manquer, l’artiste repartit en Italie, et les pièces magistrales tombèrent dans l’oubli.
À sa mort en 1547, le testament d’Henri VIII stipulait un enterrement temporaire dans une crypte sous le chœur de la chapelle Saint-George. Son corps devait y reposer en attendant l’achèvement du superbe monument, après quoi il serait transféré dans une chapelle neuve spécialement édifiée. Ce transfert n’eut jamais lieu.
Ses successeurs, Édouard VI puis Élisabeth Ire, eurent d’autres priorités. Le projet mégalomane fut abandonné. Les pièces du tombeau furent peu à peu dispersées, vendues ou réutilisées. Le sarcophage de marbre noir finit par accueillir l’amiral Nelson dans la cathédrale Saint-Paul de Londres.
Le roi qui rêvait d’une magnificence éternelle se retrouva donc confiné dans une sépulture prévue comme temporaire. Cette situation devint permanente par négligence. Pendant plus d’un siècle, seuls Henri VIII et sa troisième épouse, Jane Seymour, occupèrent cette crypte secrète.
L’histoire allait pourtant ajouter une ironie cruelle à ce repos perturbé. En 1649, après son exécution, le roi Charles Ier avait besoin d’une sépulture discrète pour éviter tout pèlerinage royaliste. On se souvint alors de l’ancienne crypte des Tudor sous la chapelle Saint-George.
Des ouvriers localisèrent et ouvrirent la tombe scellée. Pour la première fois depuis 1547, le lourd cercueil de plomb d’Henri fut déplacé avec brutalité pour faire de la place à celui de Charles Ier. Les deux monarques, que l’histoire avait opposés par leurs visions, se retrouvèrent voisins forcés pour l’éternité.
Plus tard, à la fin du XVIIe siècle, la crypte fut rouverte une dernière fois pour y déposer le cercueil d’un enfant mort-né de la reine Anne. Puis, le lieu fut scellé et sombra dans l’oubli le plus total. Aucune marque au sol n’indiquait sa présence.
Au fil des siècles, même la mémoire de l’emplacement exact se perdit. Les visiteurs marchaient quotidiennement sur la tombe du souverain sans le savoir. Il fallut un accident en 1813 pour redécouvrir la chambre funéraire, lors de travaux pour une nouvelle crypte royale.
Le prince régent, futur George IV, accourut pour constater les faits. Une lanterne descendue dans l’ouverture révéla une scène de désolation. La crypte était minuscule et contenait trois grands cercueils en plomb et un petit. L’air vicié s’échappa après plus de soixante ans de confinement.
Le cercueil de Jane Seymour était intact. Celui de Charles Ier, avec l’enfant d’Anne au-dessus, reposait à côté. Au centre, le cercueil d’Henri VIII était dans un état catastrophique. Ses supports en bois avaient cédé, la coque de plomb s’était fissurée en plusieurs endroits et les restes du roi étaient partiellement visibles.
Le médecin royal Sir Henry Halford, présent lors de l’ouverture, documenta la scène. Il identifia formellement Charles Ier grâce aux marques de hache sur les vertèbres. Il préleva même discrètement quelques reliques, dont une dent et une mèche de cheveux, déclenchant plus tard une polémique.
Personne n’osa ouvrir davantage le cercueil endommagé d’Henri VIII. La crypte fut refermée. Il fallut attendre 1837 pour qu’une simple dalle de marbre, commandée par le roi Guillaume IV, soit incrustée dans le sol du chœur. Elle mentionne sobrement les noms des défunts.
Des recherches indiquent que cette dalle n’est probablement même pas positionnée exactement au-dessus de la crypte. Elle en serait décalée de plusieurs mètres. Le dernier examen détaillé remonte à 1888, lorsque l’inspecteur des bâtiments William St. John Hope descendit sur les lieux.
Ses aquarelles constituent le seul enregistrement visuel détaillé de la tombe scellée. Il émit l’hypothèse que la décomposition du corps massif d’Henri avait généré des gaz, faisant céder le plomb de l’intérieur. Une théorie qui rejoint des récits anciens et sinistres sur son cortège funèbre.
Aujourd’hui, la crypte reste scellée. La technologie moderne, comme le radar à pénétration de sol ou les tests ADN, pourrait percer ses derniers secrets. Elle pourrait confirmer les identités, éclairer l’état de santé du roi ou cartographier précisément les lieux.
Cependant, la famille royale et les autorités ecclésiastiques ne montrent aucune volonté de rouvrir le site. Une forme de respect posthume, ou peut-être le souhait de laisser certaines histoires dans l’ombre, prévaut. Le destin final d’Henri VIII est ainsi marqué du sceau de l’ironie.
Ce monarque absolu, qui contrôla la religion, les armées et le destin de ses sujets, n’a pu maîtriser celui de sa propre dépouille. Son héritage monumental est dispersé à travers l’Europe, tandis que son corps repose sous une simple dalle, dans l’oubli relatif qu’il avait cherché à éviter à tout prix.
La découverte récente confirme que l’histoire conserve toujours son pouvoir de surprise, même dans les lieux les plus célèbres. Elle offre une leçon d’humilité posthume et rappelle que les ambitions les plus folles peuvent se heurter à la réalité du temps et de la négligence. Le mystère Henri VIII, en partie résolu, continue de fasciner.
